L'éloge du canapé : Ode à notre sanctuaire de douceur et de créativité

« Ce matin, mesdames et messieurs, laissez-moi vous embarquer dans un voyage intérieur, un voyage vers un objet si familier et pourtant si mystérieux : le canapé. Imaginez-moi, non pas debout, ni allongé, mais dans cette position divine et oblique, propre au canapé, prêt à explorer ses vertus insoupçonnées.

Le canapé, chers amis, n’est pas qu’un simple siège, c’est le socle de notre libération intérieure. Imaginez-vous, tel un philosophe moderne, vous étendre non pas pour sombrer dans l’oisiveté, mais pour vous élever vers des sphères de réflexion pure. C'est ce que démontre le philosophe italien Stefano Scrima dans un ouvrage essentiel qui vient tout juste de sortir: "Philosophie du canapé, comment vivre une vie détendue ?" Scrima nous éclaire : "le canapé est à la philosophie ce que le divan est à la psychanalyse – un espace de révolution intérieure". Allongé sur ce trésor moelleux, on se pose des questions existentielles : pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Sur le canapé, on ne combat pas nos démons, on les ignore superbement pour plonger dans une rêverie émancipatrice.

Mais qu’est-ce qui fait la force du canapé, me direz-vous ? C’est bien simple : ce n’est pas un lit. Dans un lit, on est plat, on dort. Debout, on est vertical, on s’active. Mais sur un canapé, ah, on est oblique ! Cette obliquité, mes chers auditeurs, c’est la clé de notre relaxation suprême. Les Romains l’avaient compris, eux qui mangeaient à l’oblique lors de leurs banquets – la position rêvée du gourmet éclairé. Sur le canapé, on se détend, on se relâche, on atteint un état de cool absolu. Ce siège est tout à la fois un lit, un fauteuil, un espace de créativité où l’on peut dormir, rêver, lire, écrire, ou même regarder un film. Comme le dit Scrima, le canapé recrée matériellement l’espace de notre pensée.

On a trop souvent associé le canapé à la paresse, un préjugé tenace dans une époque qui vénère la frénésie. Or, le canapé, loin d’être un siège pour les feignants, est en réalité un sanctuaire de sagesse et de réflexion. D'ailleurs, le mot "sofa" qui le désigne parfois est un clin d'œil à "sofia", la sagesse. Scrima souligne que le canapé est une invitation au ralentissement, à la procrastination positive, à la rêverie nécessaire, et à la décontraction. Le canapé est subversif, car il s’oppose à l’acharnement et à l'accélération perpétuelle de notre société. Un canapéphile est, avant tout, un penseur actif, pour qui le canapé est le support de la réflexion et de la prise de recul indispensable.

Parlons franchement, qui n’a jamais succombé aux siestes crapuleuses sur un canapé ? Eh oui, même dans ces moments-là, le canapé est créatif et fécond, il est un lieu de vie intense.

Et, il ne faut pas oublier nos amis les chats, ces maîtres incontestés du canapé. Le chat, en s'étalant sur le canapé, manifeste sa supériorité sereine sur notre espèce agitée. Ce félin nous enseigne l'art du non-agir et de la méditation existentielle. Giovanni Rajberti, ce médecin poète milanais du XIXᵉ siècle, disait que le chat vit dans cet état intermédiaire entre le sommeil et la veille, un repos complet de l'âme et du corps. Suivons son exemple et apprenons à savourer ces moments de quiétude sur notre canapé.

Ainsi, mes chers amis, le canapé n’est pas un asservissement, c’est une élévation. Alors, la prochaine fois que vous vous étendrez sur votre canapé, souvenez-vous que vous ne vous vautrez pas, vous vous élevez vers une sagesse supérieure. Vive le canapé ! »

Texte adapté de la chronique du samedi 22 juin 2024 sur France Inter
« Ce monde me rend fou » de Christophe Bourseiller
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